Le Quotidien, Jeudi 4 Août 2005

Lac Kénogami: une solution simple et à portée de main

Les riverains du lac Kénogami pataugent encore dans une mare. À cet égard, il semble bien d’ailleurs qu’un record de tous les temps soit à la veille d’être établi. Cible de toutes les critiques, Elkem Métal, qui puise dans ce réservoir l’eau nécessaire à la pro­duction de son électricité, se défend comme elle peut. Hier, dans Le Quotidien, le porte-parole régional de l’entreprise, Jean Ville­neuve, exprimait son désarroi. «Nous nous comportons en bons citoyens corporatifs», disait-il, précisant du même souffle que, compte tenu de la situation, les turbines fonctionnaient «à peine à 50 %».

Prise elle aussi fortement à partie, avec son collègue de l’Environnement, Thomas Mul­cair, la ministre régionale, Françoise Gauthier, tente de rallier les points de vue tout en prenant ouvertement le parti des riverains en colère.

L’émotivité caractérisant le débat augmente d’année en année, surtout depuis que le secteur connaît un essor immobilier consi­dérable. Situé à peine à quelques minutes des centre des affaires de Jonquière et de Chicoutimi, l’ancienne municipalité de Lac­ Kénogami profite également de la construction récente du tron­çon de l’autoroute 70 conduisant au Lac-Saint-Jean. Les proprié­tés luxueuses y foisonnent; le plan d’eau aux proportions géné­reuses — lorsque son niveau affiche la cote normale —  est égale­ment le rendez-vous d’un nombre croissant de plaisanciers.

En un mot, la société des loisirs et de consommation, alliée à la nouvelle richesse des uns et au goût de plus en plus marqué des citadins pour la nature, ont fait oublier à tout le monde que ce «lac» n’en est pas un, que c’est avant tout un grand réservoir créé à l’époque de toutes pièces par l’homme afin de répondre à des besoins industriels.

Retour à la case départ

Cela dit, et comme il faut bien composer avec le présent, la solu­tion est toujours à portée de main quoique coûteuse. Il s’agit de réactiver le projet de construction d’un barrage ou d’une digue de retenue sur la rivière Pikauba, une affaire de 170 millions $ dont la ministre Françoise Gauthier disait encore, il y a à peine quelques mois, que son gouvernement n’avait pas les moyens de réali­ser.

Sans jeu de mots, Jean Villeneuve jette un gros pavé dans la mare du gouvernement, en déclarant: «Si Québec avait investi comme prévu dans le Parc des Laurentides, beaucoup de problèmes auraient

[déjà] été réglés». L’ingénieur a fichtrement raison. D’autant plus que la construction d’un barrage sur la Pikauba représente la principale recommandation de la Commission Nicolet, mise sur pied au lendemain du déluge de 1996 par Lucien Bou­chard, alors premier ministre.

Malheureusement, ce projet destiné à assurer la sécurité des 7500 riverains du lac Kénogami, des rivières aux Sables et Chicou­timi, est mort-né. Après avoir succédé aux péquistes, les libéraux, arguant que leurs prédécesseurs avaient fait des promesses qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de tenir, l’ont tout simplement relégué aux oubliettes.

Selon les experts, la construction d’un ouvrage de retenue sur la rivière Pikauba permettrait également de régulariser de manière définitive le niveau du réservoir devenu lac, un avis que ne par­tage pas Françoise Gauthier.

Priver Elkem Métal d’une part importante de son énergie – et la forcer ainsi à s’en procurer ailleurs – pour venir à bout de la colère des propriétaires vivant en bordure de la vaste étendue d’eau, ne sera pas sans donner lieu à des conséquences négatives sur l’économie. Trop souvent de nos jours, en effet, qui dit aug­mentation des coûts de production dit également licenciements et chômage…

L’ancien maire de la municipalité de Lac-Kénogami, maintenant  conseiller municipal de Saguenay, Réal Godin, déclarait récemment qu’en l’espace de quelques années seulement l’évaluation des propriétés établies sur le rives du réservoir avait presque triplé. Avec un niveau stable et acceptable, il y a tout lieu de croire que ce phénomène pourrait être appelé à prendre encore plus d’expansion, d’où un impact économique majeur sur l’économie locale.

Créer de l’emploi plutôt que du chômage, tout en cessant de  jouer avec la vie des gens dans l’éventualité d’une autre série d’inondations dévastatrices, voilà ce à quoi devrait s’attaquer la  ministre Françoise Gauthier au lieu de perdre son temps à vou­loir réinventer la roue.