Le Quotidien, Lundi 29 Août 2005

EIkem Métal : un bouc-émissaire pratique mais fragile

Il fallait un bouc émissaire aux ennuis que la sécheresse fait subir aux riverains du lac Kénogami. Le ministère de l’Environnement, qui gère les humeurs de ce plan d’eau dont l’étendue va bien au-delà du territoire saguenéen, ne suffisait pas. Ceux qui refusent toujours de reconnaître les anomalies de ce réseau hydrographique viennent d’en pointer un deuxième Elkem Métal. L’usine est maintenant devenue carrément l’animal à abattre ! C’est ainsi que la direction régionale et les employés ont perçu le lancement d’une pétition demandant à Québec d’inviter le conseil municipal de Saguenay à participer aux négociations pour le renouvellement du bail, autorisant l’entreprise chicoutimienne à produire les quelque 37 mégawatts nécessaires à son exploitation. Le contrat expire en décembre prochain. Jusqu’à tout récemment, le maire Jean Tremblay s’était montré très discret sur le sujet. Il semblait accorder toute sa confiance au gouvernement libéral dans le règlement de cette affaire. C’est plutôt le conseiller de l’arrondissement et ancien maire de Lac Kénogami, Réal Godin, qui commentait l’évolution de la situation. Après l’abandon du projet Pikauba, l’année dernière, ce dernier avait constaté, avec une lucidité effrayante, qu’advenant des précipitations excessives, la catastrophe de 1996 se répéterait. «Il faut absolument, insistait-il, améliorer la capacité d’évacuation du lac Kénogami.» En juillet dernier, il considérait toujours que seule la construction d’un barrage sur la Pikauba pourrait sécuriser les 7500 riverains non seulement du lac mais également des rivières Chicoutimi et aux Sables tout en permettant le maintien, en permanence, du niveau d’eau que réclament les plaisanciers.
Soixante-cinq emplois en péril
Mais, cédant aux pressions des mécontents, le conseiller Godin surprend Elkem et inquiète tous ceux qui se préoccupent d’abord de la sécurité en endossant l’initiative de la pétition. Quant au maire de Saguenay, il a causé tout un émoi, récemment, en blâ- mant les « fonctionnaires impliqués dans ce dossier de se plier aux exigences des compagnies.» Sans considérer la présence de réservoirs qui permettent à Alcan de stabiliser en tout temps le niveau du lac Saint-Jean, il indiquait à Elkem l’obligation de satisfaire les citoyens de Lac Kénogami durant toute la saison estivale, comme le fait la multinationale de l’aluminium à l’endroit des riverains du Piékouagami. La direction et les 65 employés d’Elkem sont devenus les victimes, se plaignent-ils, d’une incompréhension attribuable à une véritable campagne de désinformation. La compagnie évite, en période de sécheresse, de générer toute l’énergie dont elle a besoin même si le bail signé avec le gouvernement lui en accorde l’autorisation. Elle en achète le cinquième d’Hydro-Québec, justement pour prévenir un affaissement majeur du plan d’eau. Aller au-delà ferait plonger la comptabilité dans le rouge. Elkem-Chicoutimi se considère donc un bon citoyen corporatif. Ses activités industrielles provoquent des retombées annuelles de 40 millions $ dans la région.
Investissement
L’usine de la Côte de la Réserve est l’une des 32 unités d’une multinationale norvégienne présente dans 14 pays. Elle coule, depuis sa mise en exploitation le premier juillet 1967, une multitude d’alliages composés essentiellement de ferrosilicium. Ceux-ci sont destinés surtout à des aciéries canadiennes et américaines. Par ailleurs, la compagnie permet aux Serres Sagami de récupérer ses rejets d’eau bouillante pour fournir la chaleur adéquate à la culture de tomates biologiques vendues partout au Québec. Le siège social d’Oslo projette d’investir 6 millions $ dans la construction d’un nouveau centre de coulée qui répondrait surtout aux besoins de l’industrie automobile. C’est donc cette entreprise aux dimensions mondiales que certains voudraient sacrifier sur l’autel de leur frustration. La seule solution au problème du lac Kénogami que le gouvernement Charest juge économiquement acceptable, c’est de quintupler la capacité d’évacuation de la rivière aux Sables. Des travaux estimés à une vingtaine de millions de dollars. Qu’attend-il pour l’appliquer ?