le samedi 17 juillet 1999

Le déluge frappe encore

Le troisième anniversaire des historiques inondations du Saguenay provoque un blitz de poursuites judiciaires contre le gouvernement du Québec et la Stone-Consol. Pendant ce temps, les sinistrés du lac Kénogami continuent d’accuser l’État et les municipalités concernées de mesquinerie. Ils ragent toujours également contre la Croix-Rouge qui a refusé toute aide financière aux propriétaires de chalets.

Victimes présumées ou réelles ainsi que les compagnies d’assurances qui ont déjà versé des indemnités importantes chercheront à piéger, devant les tribunaux, les véritables responsables, ceux qui ont aggravé «l’Act of God» par négligence ou incompétence. Elles utilisent toute la panoplie des moyens mis à leur disposition dont les recours collectifs et l’intervention du Protecteur du citoyen.

Spécialistes et témoins seront de nouveau invités à retracer le fil des événements et à répondre aux questions des juges qui établiront par la suite la culpabilité des institutions, ministères et entreprises placés au banc des accusés. Des négligences, erreurs et incohérences, la Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages présidée par l’ingénieur Roger Nicolet en a relevées plusieurs.

Une multitude d’observateurs ont émis leur opinion. L’historien Russel Bouchard s’est sans doute montré le plus sévère dans son «Journal intime d’un insoumis!» publié au début de l’année dernière. Dès les premières lignes, il rend ainsi l’intervention humaine et les intérêts politiques et économiques coupables de l’ampleur du désastre: «En comparaison avec ce qu’il convient d’appeler maintenant le «Déluge du Saguenay», les désagréments environnementaux causés par le Grand Feu de 1870 et l’effroyable glissement de terrain survenu à Saint-Jean-Vianney dans la nuit du 4 mai 1971, n’étaient que des hors-d’oeuvre qui ont, cependant, l’étrange avantage de scander la mesure d’un développement illogique et de marquer le rythme de croissance des désastres «naturels» de plus en plus fréquents, des désastres sans cesse amplifiés par une technologie débridée, avilie et manipulée par des mains de plus en plus perfides.»

Le journaliste André Noël, de «La Presse», s’est montré tout aussi méfiant envers les autorités qui, sous les pressions du lobby de l’eau, ont établi rapidement, prétend-il, une «ligne officielle». Il a même lancé une sottise dans son témoignage au congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en novembre 1996, au Château Mont Tremblant, lorsqu’il a conseillé à ses collègues de ne pas «se fier aux experts» parce que leurs travaux de recherche sont financés par les compagnies et les gouvernements supérieurs.

On ne peut néanmoins nier les faits comme la crue anormale des 19 et 20 juillet 1996. Elle est plus «du double de toutes les valeurs enregistrées depuis au-delà d’un siècle», lit-on dans le rapport Nicolet. «On doit donc conclure au caractère exceptionnel du phénomène et ne pas se surprendre qu’il ait causé des dommages à des infrastructures qui n’ont jamais été construites pour résister à des débits aussi rares.» Les plaignants ne contesteront évidemment pas le débordement sans précédent de dame nature. Ils tenteront plutôt de démontrer à la Justice que les mécanismes ministériels qui gèrent les barrages appartenant à l’État n’ont pas su prévenir les conséquences et ont très mal réagi durant les heures cruciales de la catastrophe. Au terme de débats essentiellement techniques, ce sont les compagnies d’assurances et le contribuable, c’est-à-dire le gouvernement, qui paiera la note.

Si la reconstruction estimée à plus d’un milliard de dollars s’est effectuée rapidement, le problème majeur du réservoir du lacKénogami et de ses émissaires les rivières Chicoutimi et aux Sables demeure entier. Tant que notre société d’État, Hydro-Québec, n’y aura pas apporté une solution définitive avec l’établissement de barrages sur les rivières Pikauba et des Écorces, les riverains de ce complexe hydrographique et à la limite, les citoyens du Bassin, à Chicoutimi, seront mécontents et inquiets.

Les études préliminaires sont complétées. Le projet qui sera retenu devra cependant accorder la priorité à la sécurité de préférence à la rentabilité. Même s’il en coûtera évidemment plus cher qu’une simple centrale hydroélectrique, il faudra obligatoirement insérer dans l’ouvrage la construction d’un canal souterrain d’évacuation jusqu’au Saguenay. Ainsi donc, le niveau du lac Kénogami pourra toujours être maintenu à la norme idéale sans inquiéter les populations de Jonquière, Chicoutimi et Laterrière.