le jeudi 7 août 2003
Projet de réservoir au lac Kénogami – Une épée de Damoclès au-dessus du Saguenay
Sept ans après le déluge du Saguenay, les habitants de la région ne sont toujours pas à l’abri d’une nouvelle inondation. Et les solutions préconisées par le gouvernement du Québec afin de régulariser les crues du lac Kénogami, à l’origine de la catastrophe, risquent, au nom de la sécurité publique, de donner le résultat inverse, croit André Bouchard, sorte de «Richard Desjardins du Saguenay», en marge des audiences publiques tenues par le Bureau d’audience publique sur l’environnement (BAPE) à ce sujet, qui ont débuté mardi dans l’arrondissement Jonquière.
L’artiste peintre écologiste du Saguenay est préoccupé. En témoigne le mémoire vidéo — un documentaire engagé d’une vingtaine de minutes — qu’il a présenté hier au BAPE afin d’inciter le gouvernement à repenser la construction d’un barrage sur la rivière Pikauba, à 30 km en amont du lac Kénogami. Ce barrage devrait permettre, à en croire le gouvernement, de mieux contrôler les crues du réservoir Kénogami et ainsi d’éviter que la catastrophe qui avait passablement dévasté Chicoutimi, Jonquière et le Lac-Saint-Jean en 1996, ne se reproduise pas. Pas si sûr, estime l’activiste. «C’est plutôt une épée de Damoclès au dessus de la tête des habitants du Saguenay qu’on est en train de planifier là, dit-il. Ce barrage va créer un réservoir de 20 km2, l’équivalent de 35 000 piscines olympiques. Des piscines qui, en cas de catastrophe naturelle ou de tremblement de terre — comme c’est arrivé en 1990 dans la région —, ne demanderont rien d’autre que de se déverser sur la région. Avec le résultat tragique qu’on peut envisager.»
Selon lui, ce projet relève de la même inconscience qui a permis au déluge de prendre forme en juillet 1996. «À cette époque, les habitants du Saguenay ont été abusés par les pouvoirs publics, dit-il. Et la mauvaise gestion des cours d’eau d’antan risque encore une fois de se reproduire avec la construction d’un barrage sur la rivière Pikauba.»
L’avis est partagé par l’ingénieur Alain Saladsius, codirecteur de la Fondation Rivières, qui s’oppose lui aussi à l’érection d’un barrage dans ce coin du parc des Laurentides. «Ce n’est pas une solution infaillible, dit-il. D’autant que l’aménagement d’un exutoire sur la rivière aux Sables semble à lui seul être en mesure de gérer convenablement les crues éventuelles du lac Kénogami.»
Aux quatre coins de la région, la contestation s’organise d’ailleurs contre ce projet, qui semble faire l’unanimité contre lui. Avec, à la clef, plusieurs mémoires déposés au BAPE afin de sensibiliser les commissaires à l’inutilité d’un nouveau barrage sur la rivière Pikauba.
«C’est un projet qui, sous le couvert de la sécurité publique, est loin d’être très clair, lance Yves Gauthier, du Comité de l’environnement de Chicoutimi. En fait, il risque de servir des intérêts privés, comme ceux des entreprises hydro-électriques qui vont pouvoir bénéficier, grâce à ce barrage, d’un débit d’eau constant pour leur production. Quant aux amateurs d’activités nautiques, ils rêvent depuis des années d’avoir un niveau d’eau assez élevé sur le lac Kénogami pendant la saison estivale. Ce que le réservoir Pikauba envisagé va leur permettre d’avoir. Ça va être bon pour le tourisme et la construction de résidences secondaires payantes en terme de taxes. Mais le jeu en vaut-il la chandelle?»
Certainement pas, croit Charles-Antoine Drolet, de l’Union québécoise pour la conservation de la faune. «La zone qui va être inondée est un milieu écologique et biologique d’une richesse incroyable, dit-il. On va perdre près de 500 hectares de terres humides à cause du barrage. À une époque où ces terres, utiles pour l’environnement au Québec, tendent à disparaître, je ne pense pas que ce projet soit sensé. Surtout s’il est mis de l’avant pour servir les intérêts privés plutôt que l’intérêt public.»
N’empêche, 60 % à 80 % des arbres situés sur l’emplacement envisagé pour le réservoir semblent déjà avoir été coupés, a constaté M. Bouchard lors du tournage de son documentaire. «Et ce, même si actuellement aucune décision n’a été prise sur l’avenir de la rivière Pikauba», dit-il.
Interpellé hier sur la question des coupes comme de l’implantation prochaine d’un barrage sur la Pikauba, le cabinet du ministre des Ressources naturelles, Sam Hamad, a préféré ne pas commenter et attendre les recommandations que le BAPE doit livrer en octobre prochain. Même son de cloche au ministère de l’Environnement du Québec, où le dossier «préoccupe au plus haut point chaque semaine le ministre», a fait entendre son chef de cabinet adjoint, Paul-Yannick Laquerre. «Se prononcer en faveur d’un projet plutôt qu’un autre aujourd’hui serait toutefois prématuré. Mais nous sommes sûrs que les audiences du BAPE vont nous permettre de prendre une décision éclairée quant à la gestion des crues extrêmes du lac Kénogami.»