Dimanche 21 juillet 1996

Une impression de fin du monde

Du jamais vu disent tous les témoins

Des employés d’Ambulance Beaumier, à Baie-Trinité, ont vécu, hier, une expérience qu’ils ne sont pas près d’oublier alors qu’ils étaient en route pour porter secours à des automobilistes coincés dans une crevasse formée par le passage des eaux sur la route 138, près d’Ilets-Caribou.

«Nous avons reçu un appel à 04 h 15, raconte l’ambulancière Denise Lelièvre. En bas de la côte, un homme nous a dit que les gens se trouvaient à environ sept kilomètres. Nous sommes repartis tranquillement. En haut de la côte, j’ai dit à mon collègue Marco Gagné qu’il y avait comme une barre noire traversant la route. En fait, c’est de l’eau qui barrait le chemin. Puis, tout a été emporté.»

Sous leurs yeux, une partie de la route 138 a basculé vers le fleuve, la force du courant creusant un trou de 25 pieds de profondeur et de 30 pieds de large.

«Nous avons juste eu le temps de faire reculer l’ambulance, explique Mme Lelièvre. La calvette (tuyau qui fait passer l’eau sous la route) s’est retrouvée dans le fleuve, à 300 ou 400 pieds de là.»

Il a beau essayer de chercher dans sa mémoire, Carol Ouellet, de lac Kénogami, ne se souvient pas d’avoir vu les éléments se déchaîner ainsi, depuis 35 ans qu’il réside dans ce coin du Saguenay. «Quand je me suis levé, samedi matin, le niveau du lac était monté de deux pieds, dit-il. On ne voyait plus aucune chaloupe. Elles avaient été emportées avec les quais!»

Hier après-midi, M. Ouellet a constaté que le niveau du lac avait encore augmenté de deux pieds : «Les crues du printemps, à côté de ça, c’est de la petite bière, dit-il. Il pleut des cordes depuis vendredi matin. Il y a des vagues de cinq pieds sur le lac. Je n’ai jamais vu ça depuis qu’on habite ici.»

Le caporal Pierre Vachon, de la Sûreté du Québec, à Baie-Comeau, dit également n’avoir jamais vu pareille situation.«Je demeure sur la Côte-Nord depuis 21 ans et je n’ai jamais vu ça, dit-il. Il arrive, à la suite d’une forte pluie, qu’un ponceau soit emporté mais jamais autant en même temps. D’ordinaire, nous avons beaucoup plus de problèmes avec les feux (rires).»

Les secouristes affectés

Ce dernier n’en revenait tout simplement pas de la quantité de pluie tombée sur la région depuis vendredi matin et des incessantes bourrasques de vent. Le mauvais temps a dérangé considérablement le travail des secouristes.

Retraité depuis peu de la Compagnie minière Québec Cartier, de Fermont, John Kenny, 53 ans, n’emménagera pas aussi rapidement qu’il le croyait dans sa nouvelle maison de Rimouski. Hier, son périple entre les deux villes s’est arrêté à Baie-Sainte-Catherine, la route 138 en direction de Saint-Siméon étant fermée.

«Tous mes meubles sont dans le camion de 45 pieds. Je suis bloqué ici avec le chauffeur depuis 0 6h 30, a-t-il raconté depuis l’hôtel-motel Baie-Sainte-Catherine, où il a pris une chambre. Hier, en descendant de Fermont, nous avons vu des éboulis de terre et beaucoup d’eau sur le chemin. Ce matin, nous avons pris le traversier de Tadoussac mais ensuite, on nous a arrêtés. C’est pas grave ; j’ai tout mon temps maintenant.»

Ils l’ont échappé belle

Linda, Clément Bergeron et leurs quatre enfants, de Ferland-et-Boilleau, au Saguenay, se souviendront eux aussi longtemps du 20 juillet 1996 : «Près de chez nous, la rivière est sortie de son lit, les ponts ont été arrachés et nous sommes coupés du monde, disait Mme Bergeron, hier matin. On n’a plus d’électricité et on ne peut plus que recevoir des appels téléphoniques.»

La famille Bergeron ne doit son salut qu’au fait que leur résidence est située sur un promontoire du village de 700 âmes, dont une partie de la population a dû être évacuée, hier.

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